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Caroline Yadan : une députée engagée auprès des Français en Turquie

Élue des Français de l’étranger, Caroline Yadan revient sur son mandat, sa présence dans la circonscription et les liens qu’elle entretient avec les Français installés en Turquie.

Portrait de Caroline Yadan, députée des Français de l’étranger, engagée auprès des expatriés en Turquie, 2025Portrait de Caroline Yadan, députée des Français de l’étranger, engagée auprès des expatriés en Turquie, 2025
Écrit par Sarah Goldenberg
Publié le 22 avril 2025, mis à jour le 29 avril 2025

Une députée engagée aux côtés des Français de Turquie

 

Quelques semaines après avoir déposé une proposition de résolution européenne suite à l’arrestation du maire d’Istanbul, Caroline Yadan, députée de la 8ᵉ circonscription des Français établis hors de France, revient dans cet entretien sur son mandat, ses priorités et son engagement pour les Français en Turquie. Proximité, écoute et défense des droits fondamentaux rythment son action parlementaire, à l’échelle européenne comme sur le terrain.

 

lepetitjournal.com Istanbul : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une proposition de résolution européenne et en quoi elle se distingue d’autres outils parlementaires ?

Caroline Yadan : La proposition de résolution européenne est un instrument parlementaire prévu à l'article 88-4 de la Constitution, qui organise la participation du Parlement à la phase d’élaboration du droit de l’Union européenne.

 

Elle permet à un ou plusieurs députés de formuler une position sur un projet ou une proposition d’acte européen, en invitant le gouvernement à en tenir compte dans le cadre des négociations menées au niveau du Conseil de l’Union européenne.

Il s’agit d’un acte non contraignant, à vocation exclusivement politique. Contrairement à une proposition de loi, qui vise à modifier l’ordre juridique national, elle n’a pas de portée normative et ne crée pas de droit nouveau. Elle ne relève pas non plus des outils de contrôle classiques du Parlement, tels que les questions ou les missions d’information, mais constitue un moyen d’expression de la représentation nationale sur les affaires européennes.

Elle est examinée par la commission des Affaires européennes, puis, le cas échéant, par la commission permanente compétente, avant d’être débattue en séance publique. À travers cet outil, le Parlement peut contribuer à orienter la position française sur les textes européens en amont des négociations, ce qui participe à la légitimation démocratique du processus décisionnel européen.

 

Quelles ont été les motivations qui vous ont poussé, avec plusieurs collègues, à déposer ce texte suite à l'arrestation du maire d’Istanbul ?

Les événements survenus en Turquie à la suite de l’arrestation de M. Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul, ont profondément choqué l’ensemble de ceux qui sont attachés aux principes démocratiques et à l'État de droit.

 

Avec plusieurs collègues, nous avons souhaité déposer une proposition de résolution européenne afin de dénoncer ce que nous considérons comme une dérive autoritaire préoccupante.

Nos motivations tiennent à la gravité des faits : un maire démocratiquement élu, réélu avec une large avance, est arrêté sur la base d’accusations qui apparaissent, à ce stade, comme largement instrumentalisées à des fins politiques. L’arrestation de plusieurs de ses collaborateurs, l’invalidation soudaine de son diplôme universitaire - susceptible de le rendre inéligible à l'élection présidentielle - et la mise en détention de son avocat participent d’un climat d’intimidation et de pression qui ne peut être ignoré.

Au-delà du cas individuel de M. İmamoğlu, c’est un signal plus large qui nous a alertés : celui d’un affaiblissement progressif de l’opposition démocratique en Turquie, en particulier du Parti républicain du peuple (CHP), dans un contexte de rétrécissement de l’espace public et d’atteintes répétées aux libertés fondamentales.

En tant que parlementaires, nous avons estimé de notre devoir de rappeler que la Turquie, membre du Conseil de l’Europe, reste tenue par les engagements issus de la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Par cette résolution, nous réaffirmons notre solidarité envers les forces pro-démocratiques turques : élus, journalistes, défenseurs des droits, étudiants et citoyens qui, malgré les risques, continuent de faire entendre leur voix.

Nous voulons aussi répondre aux préoccupations légitimes de nos compatriotes établis en Turquie. Notre responsabilité est de ne pas détourner le regard lorsque des principes fondamentaux sont remis en cause à nos frontières.

 

Quel accueil a reçu votre proposition de résolution, et comment percevez-vous les soutiens exprimés en Europe envers Ekrem İmamoğlu ?

La proposition de résolution que nous avons déposée est encore récente. Son examen n’a pas encore eu lieu, mais il ne saurait tarder. Ce sera lors de son passage en commission des Affaires européennes que nous pourrons mesurer l’attitude et les priorités de chaque groupe politique face à la situation en Turquie. Il en va, à mon sens, de la responsabilité de chacun de se positionner clairement sur ces atteintes aux principes démocratiques.

Au sein de mon groupe, nous bénéficions d’un soutien large, ce qui témoigne d’une conscience partagée de la gravité des événements et de la nécessité d’une réponse parlementaire forte. En revanche, je ne me risquerais pas à parler, à ce stade, d’une mobilisation plus large à l’échelle nationale.

 

Ce que je peux affirmer, c’est que je fais partie de celles et ceux qui sont pleinement engagés sur ce sujet. Je m’efforce également de sensibiliser mes collègues, notamment au sein du groupe d’amitié parlementaire France-Turquie, dont je suis membre.

Je suis attentive aux prises de position qui se multiplient en Europe, qu’il s’agisse de maires, de parlementaires ou d’autres responsables publics. Ces soutiens sont précieux, car ils montrent qu’au-delà des frontières nationales, une attention est portée à la dégradation de l’État de droit dans un pays membre du Conseil de l’Europe.

 

Mais la mobilisation qui me marque le plus aujourd’hui, c’est celle qui se déroule en Turquie même : celle des citoyens, des jeunes, des étudiants, qui manifestent malgré les risques, pour défendre des droits fondamentaux et un avenir démocratique. Leur courage et leur détermination nous obligent. C’est aussi pour eux que nous avons déposé ce texte.

 

Après avoir siégé à l’Assemblée nationale en tant que suppléante, pourquoi avoir choisi de poursuivre votre engagement dans la 8ᵉ circonscription des Français établis hors de France ?

Suppléante de M. Stanislas Guerini lors des élections législatives de 2022, j’ai exercé, à la suite de son entrée au Gouvernement, les fonctions de députée de la 3ᵉ circonscription de Paris.

Siégeant successivement à la commission des Affaires étrangères puis à celle des Lois, je me suis mobilisée sur des thématiques majeures : le renforcement de la réponse pénale face aux infractions à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire, la lutte contre l’occupation illicite de logements, la protection des victimes de violences intra-familiales, la reconnaissance des droits des familles monoparentales ou encore la justice patrimoniale au sein de la cellule familiale.

Parallèlement à ce travail législatif, j’ai assumé la vice-présidence du groupe d’études sur l’antisémitisme et les fonctions de secrétaire générale du groupe d’amitié parlementaire France - Israël.

Après la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, mes convictions personnelles et ma volonté de poursuivre les combats engagés m’ont conduite à me porter candidate dans la 8ᵉ circonscription des Français établis hors de France, où j’ai été élue le 7 juillet 2024.

 

Cette circonscription, riche de sa diversité géographique, culturelle et humaine, incarne pleinement les défis contemporains du lien démocratique.

J’y ai vu l’opportunité de prolonger mon engagement au service de l’intérêt général, en portant une attention particulière aux attentes de nos compatriotes établis à l’étranger, qui, bien qu’éloignés du territoire national, manifestent un attachement profond à la République, une exigence démocratique forte et un regard précieux sur les enjeux internationaux.

 

Quelles sont, selon vous, les spécificités de cette circonscription, notamment en Turquie et les liens que vous souhaitez y renforcer ?

Chaque pays de ma circonscription a des problématiques spécifiques ; chacun est un peu une circonscription en soi. Ma fonction n’est pas diplomatique.

 

Je représente les Français établis en Turquie et je souhaite être disponible et accessible pour eux. Mon rôle est de leur apporter mon aide dans les difficultés qu’ils peuvent rencontrer et d’échanger avec eux.

C’est la raison pour laquelle j’ai mis en place des permanences en visio, où chacun peut s’inscrire à un rendez-vous individuel de 15 minutes avec moi. Lorsque je suis en déplacement dans les pays de la circonscription, en plus des réunions que j’organise, je vais à la rencontre des Français établis à l’étranger et je prévois un créneau dans un café, où je me tiens à leur disposition.

La proximité et la disponibilité sont les bases de mon mandat. C’est ainsi que je conçois la fonction de députée.

 

Quels sont, depuis le début de votre mandat, les sujets que vous avez identifiés comme prioritaires pour les Français vivant en Turquie ?

 

Un mois après mon élection, en juillet, j’ai été alertée sur le problème des enfants bi-nationaux.

La Turquie considère qu’ils sont Turcs et doivent suivre une scolarité dans les écoles du pays. Ce sujet est lié aux relations entre la France et la Turquie et au fait que nous n’acceptons pas, en France, d’écoles turques. Mais les conséquences pour les familles sont énormes.

Les enfants bi-nationaux et Turcs aux lycées français d’Istanbul et d’Ankara représentent environ 80 % des élèves. Les parents ont été avertis mi-août, trois semaines avant la rentrée scolaire. J’ai immédiatement saisi la ministre et l’Ambassadrice de France et je continue à suivre attentivement la situation. Actuellement, il est annoncé, comme l’an dernier, qu’aucune nouvelle inscription ne sera acceptée, mais les élèves présents dans les établissements peuvent poursuivre leur scolarité. Cela peut changer à tout moment et les échanges avec les autorités turques se poursuivent.

Beaucoup de parents tentent de trouver des solutions alternatives mais se retrouvent dans des situations compliquées, notamment pour les fratries, lorsque les aînés sont au lycée français et que les plus jeunes ne peuvent plus y être scolarisés.

 

L’inflation fait aussi partie des préoccupations de nos compatriotes, elle a atteint près de 80 % alors que les salaires n’ont pas augmenté et les denrées du quotidien sont devenues hors de prix.

Cela pose problème dans les demandes d’aides sociales, comme les bourses, car le calcul est effectué à partir d’un taux de chancellerie qui ne tient pas compte de cette inflation et fausse les éléments sur lesquels sont basées les demandes.

 

Quels moyens avez-vous pour faire remonter les préoccupations des Français en Turquie et agir concrètement en leur faveur ?

En tant que députée de la 8ᵉ circonscription des Français établis hors de France, je tiens à exercer un mandat de proximité, fondé sur l’écoute et le dialogue permanent avec nos compatriotes.

J’ai mis en place plusieurs dispositifs concrets. Je tiens régulièrement des permanences en visioconférence, ouvertes à tous les Français établis en Turquie qui souhaitent m’exposer une difficulté ou partager une préoccupation. J’ai également créé une boucle WhatsApp, ouverte à tous nos compatriotes résidant dans le pays, pour faciliter les échanges directs, faire remonter les problématiques locales et relayer les informations utiles liées à mon mandat.

 

Je me rends régulièrement sur le terrain, comme lors de mon déplacement à Istanbul en décembre 2024, pour rencontrer nos concitoyens et échanger avec les acteurs-clés de la communauté franco-turque : associatifs, économiques, éducatifs, culturels ou institutionnels.

Je maintiens un dialogue étroit avec les services de l’État, notamment les équipes diplomatiques et consulaires, pour identifier les leviers d’action disponibles lorsque la représentation nationale est sollicitée. Chaque fois qu’une problématique concrète est identifiée - comme récemment celle des établissements d’enseignement français en Turquie -, plusieurs moyens sont mis à ma disposition pour relayer ces préoccupations et porter la voix de nos compatriotes.

Je peux saisir directement le Gouvernement, que ce soit dans le cadre des échanges réguliers que nous entretenons ou par voie formelle, via courrier. Je dispose également d’un ensemble d’outils parlementaires : questions écrites ou orales, amendements, rapports d’information, propositions de loi ou de résolution. C’est en mobilisant l’ensemble de ces instruments que je m’efforce de répondre aux attentes de nos compatriotes.

 

Avez-vous des visites prévues dans la circonscription, notamment en Turquie, dans les mois à venir ?

Je me suis rendue en Turquie en décembre dernier, un déplacement qui m’a permis d’échanger avec nos compatriotes sur place, les élus consulaires et plusieurs acteurs de la communauté franco-turque.

D’ici la pause estivale, deux déplacements sont prévus : à Malte en mai, puis en Israël en juin.

Je retournerai en Turquie dès que mon agenda me le permettra, car je suis très attachée à maintenir un lien régulier avec les Français qui y résident, dans un contexte où leur vigilance citoyenne et leur attachement aux valeurs républicaines prennent, plus que jamais, tout leur sens.

 

Quels axes souhaitez-vous prioriser dans la relation franco-turque, notamment au regard des évolutions récentes sur le plan international ?

 

En tant que députée, je n’ai pas de rôle diplomatique, qui relève de l’exécutif et de notre représentation diplomatique. Cependant, il fait pleinement partie de mes responsabilités de maintenir un lien constant avec l’ambassade de France, le consulat, et les conseillers des Français de l’étranger en Turquie.

Ces échanges réguliers me permettent d’être au plus près des réalités vécues par nos compatriotes et d’agir rapidement lorsque des problématiques concrètes se présentent - comme je l’ai évoqué précédemment.

Mon rôle, en tant que parlementaire, est d’abord de faire remonter ces préoccupations au niveau national, d’alerter le Gouvernement si nécessaire, et de porter des propositions ou des messages politiques clairs, notamment lorsque les principes démocratiques ou les droits fondamentaux sont mis en cause.

 

Souhaitez-vous adresser un message aux lecteurs francophones en Turquie qui vous découvrent peut-être pour la première fois ?

Je voudrais dire à nos compatriotes francophones établis en Turquie, et à ceux qui me découvrent à travers cet entretien, qu’ils peuvent compter sur ma disponibilité et mon engagement. Je suis à leur écoute et pleinement mobilisée pour faire remonter leurs préoccupations, défendre leurs droits et porter leur voix à l'Assemblée nationale.

 

Dans le contexte actuel, que je sais parfois difficile et incertain, je tiens à leur redire que je me tiens à leurs côtés.

Ils ne doivent pas hésiter à me solliciter, que ce soit à l'occasion de mes déplacements, par les permanences que j’organise en ligne, ou par tout autre moyen de contact mis à leur disposition. Mon rôle est de leur être utile et de faire en sorte que leur attachement à la France trouve une traduction concrète dans l’action parlementaire.

 

lepetitjournal.com d’Istanbul remercie Madame Caroline Yadan pour cet entretien et son engagement auprès des Français établis en Turquie.

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Propos recueillis par Sarah Goldenberg. 

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